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6 février 2011

Comment le bio peut nous sauver

 Commentaire de lecture (*)

 



Famine au sud, malbouffe au nord :

comment le bio peut nous sauver




L’auteur : Marc Dufumier (MD) est ingénieur agronome, et expert auprès de la FAO et de la Banque Mondiale, deux institutions que je ne tiens pas vraiment dans mon cœur, mais il a beaucoup voyagé et a su voir et écouter.

Le titre : Famine au sud, malbouffe au nord : comment le bio peut nous sauver, pourrait laisser croire qu’il s’agir d’un ouvrage axé sur les techniques culturales. Il n’en est rien, même s’il ne néglige pas le côté technique, ce livre est un essai qui met à jour (avec quelques réserves que je détaillerai plus bas) les raisons politiques des crises alimentaires que nous connaissons au Nord comme au Sud.

Parution : Éditions Nil 2012.

Chapitre 1 : Le grand dérèglement.

Ce chapitre-diagnostic n’est pas réjouissant, il oppose le Sud au Nord.

  • Au Sud, les famines, les émeutes de la faim, l’exode des paysans vers les bidonvilles qui encerclent les grandes villes ou vers les pays riches
  • Au Nord, le trop-plein, la malbouffe, l’obésité, la pollution due aux engrais et autres produits phytosanitaires, la perte de biodiversité, etc.

En exergue, la diminution des insectes pollinisateurs, et particulièrement des abeilles, nous montre bien l’état dégradé de notre environnement.


Chapitre 2 : Nos agriculteurs sont-ils devenus fous ?

Derrière ce titre provocateur, MD essaie d’analyser le comportement des agriculteurs : ont-ils le choix, qu’est-ce qui peut bien les pousser à attenter au fragile équilibre écologique ?

  • Le cercle vicieux de la PAC. En refusant d’instaurer des quotas de production (pour les céréales), l’Europe a finalement renoncé aux principes d’intervention publique (prix, quotas, stocks) et les agriculteurs se sont retrouvés en concurrence mondiale (mais subventionnés).
  • Le diktat de l’agro-industrie et de la grande distribution : les agriculteurs sont devenus le maillon le plus faible de l’agroalimentaire avec un rapport de force très défavorable. L’industrialisation croissante commande des investissements et une spécialisation toujours plus importants.
  • La pseudo-amélioration génétique a résulté en une perte dramatique de biodiversité. Les agriculteurs ont perdu le contrôle des semences. Celles commercialisées ne sont pas adaptées aux terroirs et réclament toujours plus d’intrants.
  • Effets catastrophiques de la spécialisation (la Bretagne est submergée de purin car elle ne fait plus de céréales, la Beauce perd toute sa matière organique), des monocultures et du remembrement.
  • Effets de la croissance de la productivité du travail mais pas de la production à l’hectare : opposition capital/travail toujours au désavantage du dernier.


Chapitre 3 : Quand la tradition n’est pas synonyme d’archaïsme.

MD passe en revue certaines pratiques culturales du Sud, souvent décriées car peu productives mais néanmoins adaptées à leur milieu, et met en évidence le savoir-faire ignoré des paysans du Sud :

  • Agriculture sur abattis-brûlis
  • Nomadisme pastoral
  • Cultures associées
  • Riziculture inondée

Les deux premières techniques sont difficilement compatibles avec une trop forte pression démographique, alors que les deux dernières sont très productives à l’hectare (mais nécessitent une main-d’œuvre importante et sont peu mécanisables).

Chapitre 4 : Quand la modernité n’est pas synonyme de progrès.

  • Le piège de la révolution verte. La transposition au Sud des techniques culturales du Nord a eu des effets encore plus délétères. Les firmes semencières ne s’intéressant qu’à quelques espèces, les espèces locales ont été abandonnées et parmi ces espèces ont été promues les variétés permettant une production théorique maximale. Ces variétés nécessitant engrais, produits phytosanitaires, irrigation, elles n’ont pu exprimer leur potentiel génétique que dans certaines régions du globe (autre part les rendements ont chuté), et ce temporairement. Les paysans se sont endettés, souvent ruinés. Les États eux aussi se sont endettés pour construire des infrastructures (barrage pour l’irrigation…). On observe les mêmes effets nocifs sanitaires et écologiques au Sud qu’au Nord.
  • Le piège des systèmes extensifs. Ceux-ci profitent uniquement aux propriétaires terriens qui ne travaillent pas la terre eux-mêmes. Ils détruisent les emplois des paysans et leur productivité à l’hectare est très faible. Du fait d’une extrême spécialisation, les dégâts écologiques sont considérables. Après quelques années les cultures doivent être abandonnées et déplacées (maladies, adventices, appauvrissement des terres, etc.)


Chapitre 5 : Quand les campagnes se vident.

Quand les paysans ne peuvent plus faire vivre leur famille, ils quittent leur terre (MD aurait aussi dû parler du nombre croissant de paysans qui se suicident). Cet exode peut prendre plusieurs directions :

  • les grandes villes, ou plutôt leurs bidonvilles (depuis 2008, la majorité de la population mondiale vit en ville)
  • les forêts, avec des conséquences environnementales et des conflits avec les peuples indigènes
  • les pays du Nord, où l’on comprend bien que le prétendu problème de l’immigration est du principalement aux systèmes agricoles que le Nord a imposé au Sud


Chapitre 6 : Le mirage des OGM.

Bref rappel du danger (sur la santé, la biodiversité, la sécurité alimentaire, l'augmentation de l’exode rural…) des OGM et du fait qu’ils ne tiennent pas leurs promesses (mauvais rendements, pas de diminution de l’utilisation de produits chimiques…) Il n’y a pas plus à attendre des OGM de seconde génération. Quant à l’altruisme des firmes semencières qui les développeraient pour éradiquer la faim des pays du Sud non solvables… Le problème de la la production agricole ce n’est pas la génétique mais la fertilité des systèmes agricoles.

Chapitre 7 : Cap sur l’agroécologie.

Après ces premiers chapitres déprimants, l’auteur montre que les solutions techniques existent pour développer l’agroécologie au Sud. Il est dommage qu’il ne fasse pas le parallèle avec le Nord où ces techniques pourraient aussi être mises en œuvre. Utiliser au mieux l’énergie solaire : il s’agit de maximiser la photosynthèse en maintenant une couverture végétale quasi-permanente et en associant espèces de différentes tailles au sein de la même parcelle, et en replantant les haies qui protègent les plantes du dessèchement (qui empêche la photosynthèse).

  • L’agroforesterie. La plantation d’arbres dans le champs a des effets bénéfiques multiples : protection des cultures annuelles, fertilisation du sol par les feuilles tombées (MD ne mentionne pas une cause plus méconnue mais tout aussi importante : le renouvellement annuel d’une partie des racines des arbres), habitat pour toutes sortes d’espèces animales, revenu complémentaire pour les paysans (fruits, bois…). La seul frein à cette technique dans le Sud est la précarité des paysans qui sont rarement propriétaires des terres qu’ils cultivent. Au Nord, l’auteur aurait pu mentionner le rôle néfaste de la mécanisation qui a éliminé les arbres et les haies des champs.
  • Des légumineuses en association et en rotation culturale. Là encore, bien que non mentionnées, il s’agit de techniques culturales anciennes (assolement sur plusieurs années). Les légumineuses permettent de fertiliser les sols en azote naturellement et gratuitement (ce qui ne va évidemment pas dans l’intérêt de l’industrie). Une petite explication aurait été la bienvenue sur le concept d’association : par exemple sur une même parcelle de la luzerne (une légumineuse vivace, qui pousse en été, riche en lignine et aux racines puissantes) et une céréale annuelle d’hiver comme le blé.
  • Les associations : agriculture-élevage, polyculture-élevage diversifié, ou encore agriculture-pisciculture-élevage. Tous ces systèmes sont très productifs à l’hectare, et résilients aux aléas de toutes sortes (climatiques et économiques) du fait de la diversification.
  • Réorienter la recherche. Au lieu de se focaliser sur une amélioration génétique illusoire dans des stations expérimentales et ensuite d’essayer de recréer des conditions identiques en plein champ, les chercheurs feraient bien de retourner aux champs, de retrouver une vision globale de l’agriculture et de respecter les savoir-faire paysans.


Chapitre 8 : Remettre le paysan au cœur du développement.

Après avoir montré que l’obstacle à l’augmentation de la production n’est pas technique, MD s’attaque aux causes socio-économiques et aux solutions.

  • Promouvoir l’agriculture paysanne : revenir à des fermes de taille familiale, ne pas imposer des solutions standard, donner aux plus pauvres l’accès aux outils de base (râteaux, charrettes…) et la possibilité de commencer un petit élevage.
  • Une nouvelle réforme agraire : prendre la terre aux grands propriétaires et la distribuer aux petits paysans.
  • Mieux gérer les terres communes en Afrique subsaharienne (ce qui ne veut pas dire privatiser).
  • Mettre fin au land ‘grabbing’ (vente ou location à long terme de terres agricoles à des grandes entreprises ou à des gouvernements étrangers).
  • Équiper les campagnes : matériel, infrastructures (ce n’est pas forcément l’argent qui manque, cf. la gabegie et la corruption).
  • Réorienter l’aide au développement : aide locale adaptée versus grands projets.
  • Financer les agriculteurs : l’auteur est ici en contradiction avec lui-même puisqu’il conclut cette section en écrivant que le vrai problème c’est l’absence de prix rémunérateurs non garantis (comme le Nord a su le faire après la 2è guerre mondiale).

L’analyse de Dufumier ne nous parait pas incorrecte, mais elle pèche en n’explicitant pas clairement que ces dérives sont dues à la nature même du capitalisme. Les solutions préconisées ne pourraient être mises en place que suite à l’abandon du capitalisme. Le Sud souffre toujours des effets du colonialisme et du post-colonialisme dont les mesures imposées par le FMI et la Banque Mondiale n’ont été que la continuation.

Chapitre 9 : Le libre-échange agricole, c’est le vol.

L’auteur montre combien les paysans du Sud sont spoliés ou volés quand ils vendent leur production, y compris dans leurs pays, du fait de la concurrence déloyale des producteurs du Nord. Il démonte la théorie des avantages comparatifs qui ne fonctionne pas dans la réalité. Les paysans du Sud qui se sont spécialisés dans les produits d’exportation ne s’en sortent pas mieux qu’avant en se consacrant aux cultures vivrières. Ces produits d’exportation sont la plupart du temps en surproduction et donc mal rémunérés et leur laissent peu d’argent pour subsister. Il faut donc permettre aux paysans du Sud de vivre des cultures vivrières (par le protectionnisme), Cela réduirait mécaniquement les exportations de produits exotiques dont les prix augmenteraient.

Les tenants du libre-échange et des avantages comparatifs ne poussent pas leur raisonnement jusqu’au bout : l’affectation optimale des ressources à l’échelle internationale impliquerait que les habitants des régions les moins favorisées puissent émigrer vers les régions les plus favorisées agronomiquement.

À nouveau, cette analyse n’est pas fausse, mais on comprend mal ce qui justifie de la limiter aux denrées agricoles, pourquoi seul le libre-échange agricole serait-il inéquitable ?

Chapitre 10 : Quel avenir pour nos campagnes et nos agriculteurs ?

  • Arrêtons la course au productivisme : nous n’avons plus (sic) grand-chose à y gagner. Un peu de cynisme dans cette section qui montre justement qu’il reste à la France peu d’atouts dans la concurrence internationale : pas de réserve foncière, des rendements déjà à leur maximum, des problèmes de pollution dus à la dépendance aux intrants chimiques. L’auteur aurait pu ajouter la dépendance au pétrole alors que c’est une ressource dont le prix ne peut qu’augmenter (sans parler des conséquences sur le réchauffement climatique).
  • Rediversifions les systèmes de production : des porcs en Beauce et des céréales en Bretagne. Conclusion logique de l’analyse du chapitre 2 : retrouver la qualité écologique des territoires et des produits fermiers ou bio.
  • Diminuer notre dépendance aux importations agricoles : plus de luzerne et moins d’algues vertes. Arrêter nos importations de protéagineux implique de remettre en cause les accords de libre-échange et donc aussi nos exportations subventionnées.
  • Développons les labels et la filière bio : la restauration collective peut donner l’impulsion ! L’exemple de Rome montre que garantir un débouché aux producteurs (cantines) a permis de créer la filière bio la moins chère d’Europe. Mais cette impulsion ne devrait pas être le seul fait des collectivités locales :
  • Les aides de la PAC devraient être utilisées à cet effet. La nouvelle PAC 2013 est donc une opportunité à saisir (malheureusement les informations que nous avons ne nous incitent pas à l'optimisme). Celle-ci doit donc être réorientée pour permettre des prix rémunérateurs. L’auteur propose de limiter les subventions directes au paiement de travaux d’intérêt général accomplis par les agriculteurs (maintien de la biodiversité, entretien des prairies, haies, etc.) Cela va évidemment complètement à contre-courant du discours de la FNSEA (qui ne veut pas d'agriculteurs paysagistes !). MD pourrait sans doute rappeler que les paysages français sont en grande partie le résultat de siècles d’agriculture et d'élevage paysans.
  • Un bonus-malus sur les productions agricoles pour inciter les producteurs à changer leurs pratiques. L’auteur reste bien ici dans une logique libérale où tout est monnayable, y compris la pollution. Il me semblerait plus pertinent d’interdire les pratiques nocives et que le travail des agriculteurs soit payé à son juste prix. Le système du bonus-malus est implicitement en place avec l’augmentation régulière des prix du pétrole avec certes un effet sur les pratiques mais de manière trop lente pour arrêter les dégâts parfois irréversibles sur l’environnement.


Chapitre conclusif : en 2050, l’agriculture bio peut nourrir la planète

Conclusion valide sur l’analyse (il faut arrêter de prétexter que le Nord doit augmenter sa production pour nourrir le Sud) mais un peu décevante car beaucoup trop timoré sur les échéances. L’auteur oublie de rappeler qu’une très grande partie de la population mondiale se nourrit déjà avec du bio (pas par choix mais par nécessité car elle n’a tout simplement pas accès aux intrants chimiques). Le Nord peut et doit se nourrir uniquement avec du bio, mais l’échelle de temps devrait être beaucoup plus resserrée. Le Sud pourrait augmenter sa production relativement facilement avec un peu d’aide matérielle et surtout la remise à plat du système de libre-échange.

Mon avis : essai très intéressant, résumant bien la problématique de l’agriculture et de l’alimentation au niveau mondiale et montrant que techniquement une autre voie est possible. À faire lire à tous ceux qui pensent que le bio c’est pour les bobos ou qu’il n’a pas d’alternative au système agricole productiviste. Marc Dufumier explique bien qu'il ne prône pas un retour en arrière, mais il pourrait insister plus sur les domaines sur lesquels une recherche réorientée pourrait travailler (étude des agro-systèmes…)

Il est dommage que l’auteur refuse de s’engager sur le terrain politique. Tous les méfaits du système actuel sont liés à l’impérialisme du Nord, au productivisme et au capitalisme. Les politiques de firmes comme Monsanto visant à contrôler les semences et leur reproduction ont pour but ultime le contrôle de l’humanité. Le déséquilibre  entre le Nord et le Sud ne se limite pas à l’agriculture et les mêmes causes ont les mêmes effets dans d’autres domaines : considérer l’agriculture comme un secteur à part que l’on pourrait soustraire du système libéral tout en conservant le capitalisme laisse accroire que l'on pourrait réformer le capitalisme par petites touches.


(*) Commentaire personnel de lecture de François.

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